La chronique du Profanateur – Chronique 17
NDLR : Ce texte est un inédit.
MON DIVORCE DE FER BLANC
Aujourd’hui, jour pour jour, c’est le dixième anniversaire de mon divorce d’avec ma plus récente conjointe. Et ça me rassure : je commence déjà à m’en remettre. Pour moi, quand c’est fini, c’est fini; je coupe les ponts : tabula rasa illico. D’ailleurs, parlant de table, elle est partie avec. De même qu’avec tout le reste du mobilier. Et avec l’auto aussi. Mais j’en ris encore dans ma barbe : la veille de son départ, j’étais allé faire un grand tour de machine, à 220 sur l’autoroute, pour ne pas lui laisser un réservoir plein, au moins. J’avais ma dignité. Dommage que je n’aie pas pensé à vider le réservoir à lave-glace également.
La période d’adaptation s’est faite rapidement. Il est vrai que c’était moi qui gérais pas mal tout en la demeure. Quand je lui ai racheté sa moitié de maison, je me suis retrouvé, évidemment, dans un double espace. Et j’ai hérité forcément de nouvelles responsabilités. De la chatte angora de mon ex, entre autres, qui, à l’instar de cette deuxième, demandait d’être brossée quotidiennement. Et d’une jungle de plantes comparable à la collection du biodôme. De sorte que j’ai dû m’acheter quelques livres sur le toilettage féminin et sur la biodiversité.
Après son départ, je pensais que mon ex avait eu la délicatesse de me laisser quelques produits de première nécessité. Au moins, elle m’avait laissé le tube de pâte dentifrice, pensai-je. Jusqu’à ce que je me rende compte, après une semaine d’utilisation, qu’il s’agissait en fait d’un tube de Vagisil oublié! Le premier mois, avant que je me décide à me refaire un trousseau, j’ouvrais mes bouteilles de bière comme à l’époque de mon adolescence, avec ma boucle de ceinture, parce que madame avait raflé les trois décapsuleurs, et d’autres ustensiles moins utiles comme les fourchettes, cuillères, et la batterie de cuisine. Heureusement, elle avait oublié deux couteaux, de sorte que, pour me désennuyer, j’ai pu les faire chauffer à quelques reprises sur le rond de la cuisinière.
Depuis que je suis redevenu seul, j’ai l’impression d’avoir rajeuni. Je me sens comme un squatteur qui jouirait de son premier appartement. Comme à l’époque de ma première délinquance, j’accumule les caisses de bières vides contre les murs de ma chambre. D’ailleurs, au fil de mes années de célibat, j’ai tout redécoré. Avec goût. Et question de garder une touche féminine, néanmoins, j’ai épinglé de nouveau mes vieux posters de Samantha Fox. Aussi, j’ai recommencé à faire du sport extrême. Avec mes amis de longue date, je joue au billard, au poker et au backgammon.
Ceux-ci se rassembleront chez moi, ce soir, à l’occasion des festivités soulignant mon divorce de fer blanc. Grosse réception en perspective. Avec services de traiteur et hôtesses habillées avec des nœuds papillons cloutés, pour faire «class». J’ai même fait faire un gâteau de divorce. Au glaçage noir, avec une seule figurine plantée dedans, pour me représenter.
La partie protocolaire sera brève. Je ferai mon propre échange d’anneaux de nez. Puis mes deux témoins me tatoueront mon acte d’état civil dans le dos afin de bien officialiser mon statut.
Après le déballage des nombreux cadeaux que mes amis m’apporteront (des trucs délicats, j’imagine, comme des DVD de musique heavy metal, des jeux vidéo trash, ou des bouteilles de fort), ce sera, bien entendu, le traditionnel lancer du bouquet de plants de cannabis. Lors de ce moment symbolique, je suis convaincu que tous les invités se battront sauvagement pour mettre le grappin sur la gerbe. Car celui qui se l’appropriera sera le premier, durant l’année, à goûter aux joies de la séparation…
Michel
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