La chronique du Profanateur – Chronique 16


NDLR : Cet article est un inédit.

ENTREVUE AVEC UN VOYEUR EXTRALUCIDE

En s’assoyant devant le Profanateur pour l’interview, le sorcier Corneliu Belœil n’a pas remarqué que le fauteuil, destiné aux invités, a été agrémenté d’un coussin de fakir.

[début de l’entrevue]

CORNELIU BELŒIL : Aïe !!! Qu’est-ce que c’est que ça !

LE PROFANATEUR : Ben, je croyais bien faire …pour que vous soyez dans votre élément. C’est mon porc-épic domestique… Pelote ! Descends de la chaise de monsieur ! Excusez-moi, je pensais que vous étiez insensible à la douleur. On m’avait dit que vous marchiez sur des tessons de bouteille, sur des braises ardentes, et même dans la crotte de chameau, alors…

C.B. : Aïe, Aïe, c’est malin, j’ai les fesses pleines d’épines! Mais non : je suis insensible seulement quand je suis en transe. Et je ne me rends jamais à une entrevue en transe. Un jour, j’ai été arrêté au volant de mon tapis volant en état de transe et j’ai dû souffler dans l’hypnomètre. De sorte que j’ai été radié de la Corporation des chamans pendant une année entière.

PROF. : Désolé. De toute façon, je ne suis pas inquiet pour vous. Je sais que vous êtes en mesure de vous soigner le derrière en moins de deux puisque vous êtes un médecin doux, n’est-ce pas ?

C.B. : Un médecin doux ?

PROF. : D’après votre curriculum vitae, vous vous adonnez à la médecine douce, non ? Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

C.B. : Mon troisième œil me dit que vous vous moquez de moi, monsieur le Profanateur !

PROF. : Ah! Me voici rassuré. Vous avez bel et bien lu dans mes pensées. Maintenant que je sais que vous n’êtes pas un charlatan, je peux donc commencer cette interview. Ma première question est tout à propos : vous arrive-t-il justement de vous mettre le doigt dans le troisième œil ?

C.B. : Seulement de proche. C’est pour cela que j’ai fait ajouter un foyer à mon verre du centre. Mais pour ce qui est de prévoir loin, il n’y a aucun problème. Quelquefois, je fais du strabisme prospectif mais cela fausse à peine mes visions. Le tremblement de terre que j’avais prédit au Nicaragua a eu lieu juste à côté, en Chine.

PROF. : En effet, cet aspect géographique est très négligeable. Avez-vous d’autres techniques pour lire l’avenir ?

C.B. : Dans mon village, sur le continent africain, on m’a enseigné une foule de techniques. Entre autres, je lis l’avenir des dames dans les craques de boules et celui des hommes dans la raie du cul. Toutefois, mon procédé préféré consiste à lire l’avenir dans les résidus des fonds de contenants, la technique la plus utilisée étant celle dite «des feuilles de thé». Et quand l’oracle est plus gros, je n’hésite pas à consulter le fond de ma fosse septique.

PROF. : Très intéressant. Avez-vous un moyen de savoir, par exemple, si le printemps est à nos portes. Ici, en Amérique du nord, on se fie au flair de notre marmotte, ce qui n’est pas infaillible…

C.B. : Par chez-nous, la technique est sensiblement la même. À Pâques, si le Sauveur n’a pas vu son ombre au moment de sortir de son tombeau, c’est que l’hiver n’est pas encore terminé.

PROF : Pour rester dans le domaine de l’ésotérisme, pouvez-vous me dire enfin si oui ou non le Triangle des Bermudes existe vraiment ?

C.B. : Certainement. Et il est plus dangereux encore que le Triangle amoureux. Cependant, contrairement à la croyance populaire, celui-ci n’est pas équilatéral mais scalène. De plus, il n’est pas du tout situé dans les Bermudes.

PROF. : Où se cache donc cette coquine forme géométrique alors ?

C.B. : Vous serez surpris d’apprendre, monsieur, que ce mystérieux Triangle se trouve chez-vous, dans votre Golfe du Saint-Laurent.

PROF. : Incroyable ! Est-ce à dire que notre Île d’Anticosti est en fait l’Atlantide ?

C.B. : C’est indéniable. D’ailleurs, ce qui m’a mis la puce à ma troisième oreille, c’est que les deux mots comportent exactement le même nombre de lettres, soit 9, lequel, tout comme le nombre de côtés du Triangle, est indivisible par un chiffre pair. Qui plus est : si vous remplacez les lettres I, C, O, S du mot ANTICOSTI par les lettres L, A, D, E, qu’avons-nous en replaçant tout ça dans l’ordre ? Rien de moins que le mot ATLANTIDE ! N’est-ce pas merveilleux ?

PROF. : Renversant, en effet. Je vois que vous êtes aussi lettré que numérologue. Soyez assuré que je n’hésiterai pas une minute à vous consulter de nouveau, monsieur Belœil. À l’occasion de mon prochain match de Scrabble, peut-être.

Michel