La chronique du Profanateur – Chronique 12

NDLR : Cette chronique du Profanateur a été publiée dans sa version originale dans le journal LE REVENANT, à l’hiver 1997.

Les souvenirs du Profanateur :
2069, L’ODYSSÉE DU COLLÈGE MGR LAFLÈCHE

CHAPITRE I

Comme je suis journaliste et un ancien élève modèle, mon Alma Mater m’avait demandé d’écrire un article pour souligner le 40ième anniversaire, en 2009, de mon institution collégiale, le Collège Mgr Laflèche. Pour ce faire, j’ai eu l’idée de consacrer mon article à la toute première cohorte de l’histoire de l’établissement, celle de 1969. Une véritable entreprise paléontologique, vous en conviendrez, puisque cette époque est très reculée, et presque oubliée de tous.

Pour les besoins de ma recherche sur ces baby boomers, j’avais d’abord réuni autour d’une table de bistrot quelques anciens et anciennes de la toute première promotion pour qu’ils me narrent leurs souvenirs collégiaux. Peine perdue! Tous, vu leur âge avancé, étaient séniles (et quelques-uns incontinents après leur deuxième bière). Leurs propos, hélas, avaient la cohérence d’un discours du chef de l’opposition Stéphane Dion. Et je ne pus en tirer quoi que ce soit.

Je fis donc appel aux talents d’électronicien de mon frère afin qu’il me sorte de cette impasse. Bricoleur comme pas un, il venait tout juste de terminer la transformation d’une cabine téléphonique en machine à voyager dans le temps. Pour les besoins de mon enquête, j’acceptai d’en être le premier utilisateur. Le hic dans cette histoire à peine croyable (vous me croyez, n’est-ce pas ?), c’est qu’en composant le numéro, j’ai vraisemblablement fait le 2069 plutôt que le 1969…

CHAPITRE II

Je m’aperçus de ma maladresse lorsque l’engin atterrit devant le collège. À peine fus-je posé qu’un robot-policier s’amena vers moi pour me coller une contravention. Ma vignette de stationnement, vous vous en doutez, était périmée. Je demandai à l’agent si le Collège était ouvert à cette heure-là.

- Le Collège? s’exclama-t-il de sa voix métallique, voilà trente ans qu’il n’y a plus de collège ici, mon bon monsieur!

-Et ça alors? fis-je en désignant la noble institution.

Il est vrai que le collège avait subi quelques modifications mineures, héritage probable des accommodements raisonnables qui avaient secoué le Québec quelques décennies plus tôt. Deux minarets flanquaient l’entrée principale, au-dessus de laquelle était écrit (à moins que ma connaissances des langues m’ait trompé) le nom de l’établissement …en vulcain.

- C’est bien le Collège Mgr Laflèche, répondit le robot. Mais il s’agit aujourd’hui d’un musée. C’est ainsi depuis que le gouvernement a aboli l’éducation traditionnelle en 2039.

- Qu’est-ce que vous me dites là! m’écriai-je en pensant à ma filleule chérie qui voulait devenir enseignante. Les jeunes de votre temps n’étudient plus?

- Ce n’est plus nécessaire, monsieur, depuis que le ministère de l’Éducation a adopté la pédagogie innée. De cette façon, la connaissance, comme le souhaitent les fonctionnaires, est uniformisée.

- La pédagogie innée! Je ne vous suis pas du tout!

- La connaissance s’acquiert de nos jours sous forme de drogues, expliqua le robot. À l’âge de six ans, les enfants avalent un comprimé leur prodiguant d’un coup le savoir du niveau primaire; à l’adolescence, il en est de même pour les «études» secondaires; au collégial, on fait une injection dans la fesse des collégiens; pour ce qui est de ceux qui veulent accéder au savoir universitaire, eh bien, on leur introduit alors un puissant suppositoire.

CHAPITRE III

L’agent m’invita à pénétrer dans le Musée Mgr Laflèche. Un escalier roulant me mena jusqu’à l’entrée. Dans le vestibule, je fis une rencontre déconcertante. L’immortelle sœur Berthe, devenue guide après la fermeture de la bibliothèque, accueillait les visiteurs. Cela ne l’empêcha pas de me réclamer une amende de 8 000$ pour un livre en retard que j’avais, à l’occasion de ce voyage, rapporté dans mes effets. La religieuse n’avait pas beaucoup vieilli, en dépit de ses deux siècles. Elle me proposa aussitôt que nous nous rendions au Salon du personnel pour y rencontrer mes anciens professeurs. Se pouvait-il qu’ils soient encore vivants en l’an 2069?

En accédant à la salle, j’arrivai nez à nez avec lesdits personnages. Quand je les saluai cordialement, je me rendis compte assez vite qu’ils avaient été empaillés, immobiles dans des postures académiques, pour l’éternité. Mon ancien prof de philo Jean-Guy Poitras, superbe, tenait dans la main le Traité d’ontologie phénoménologique de Sartre. Mon ancienne prof de français, Margot R., sublime, tenait dans la main le Dictionnaire des difficultés du français moderne de Grevisse. Mon ancien prof d’éducation physique, [CENSURE], tenait dans la main une raquette de badminton de Wilson. Seuls deux professeurs, respectivement de chimie et de sciences politiques, n’avaient pas subi la médecine des taxidermistes. On avait en effet sauvegardé l’enveloppe charnelle de Jean M. et d’Alain S. dans un grand aquarium rempli d’alcool où ils semblaient nager dans leur élément naturel.

CHAPITRE IV

Pris de nausées, je voulus sortir de cette funeste maison des horreurs. Dans ma fuite, je passai devant la Salle Mgr Mélançon, endroit jadis réservé à l’administration du Collège. Étrangement, des bruits s’échappaient de derrière cette porte. Sur laquelle je remarquai un très ancien écriteau aux lettres usées par le temps : «Ne pas déranger : en réunion».

Ma curiosité l’emporta sur ma frayeur. J’ouvris la porte dont les gonds rouillés grincèrent sinistrement. Depuis combien de décennies cet endroit était-il resté scellé? Qu’allai-je découvrir dans cette crypte mystérieuse? De l’horreur, bien sûr! Une assemblée d’administrateurs (parmi lesquels je reconnus le DG et le directeur des études de l’époque), causaient autour d’une grande table rongée par les termites. Tous croupissaient sous la poussière et les toiles d’araignée, occupés à délibérer sur le point 4 de l’ordre du jour de la réunion de coordination du 31 février 2009!

C’en était trop pour mon cœur sensible. Je quittai ce musée de momies et de morts-vivants pour m’engouffrer dans ma machine à voyager dans le temps. J’introduisis, inflation oblige, une pièce de 100$ dans l’appareil puis je regagnai mon époque.

ÉPILOGUE

Dès mon retour, je connus le même sort que les égyptologues qui avaient découvert le tombeau du Fanpharon Toutankarton. Une malédiction me frappa, implacablement. Mes nuits devinrent cauchemardesques. Je suis depuis atteint d’un mal terrifiant : la fonctionnaria (sans T, comme malaria). À chaque fois que j’entends s’exprimer un fonctionnaire, ma peau se couvre d’urticaire.

FIN



Michel