Top 10 hors série 1

TOP TEN HORS SÉRIE
Georges Simenon : mes dix meilleurs

J’ai découvert Georges Simenon par accident. Alors que j’étais adolescent, je suis tombé un beau jour sur une vente de livres dans une librairie en inventaire. Un nombre considérable de Simenon (publiés chez Folio, et liquidés parce que la maison d’édition venait de revoir la présentation matérielle de la collection) étaient soldés à un dollar. À ce moment-là, tout ce que je savais de cet auteur, c’est qu’il était le créateur de l’inspecteur Maigret. Je constatais donc que Simenon avait écrit autre chose, qu’il avait écrit, comme il le disait lui-même, des «romans durs».

Ce jour-là, j’ai acheté mes trente premiers Simenon. Que j’ai lus en autant de jours. Une passion dévorante était née. Depuis ce temps, j’ai tout lu Simenon. Sauf les Maigret, qui n’ont jamais obtenu mon adhésion, à cause de leur caractère trop commercial. Tout de même! La production «dure» de l’écrivain compte environ 200 romans (en incluant ses œuvres de jeunesse). Parmi ceux-ci, plusieurs titres auxquels je reviens fréquemment. J’ai relu quelques-uns de ces romans une bonne dizaine de fois.

Inutile de préciser que Simenon figure sur la liste des auteurs qui ont le plus influencé ma propre démarche littéraire. Mon style, je crois, n’a rien à voir avec celui de Simenon. Toutefois, Simenon m’a appris beaucoup de techniques. Entre autres, l’art d’évoquer une atmosphère en quelques phrases seulement.

Parmi mes Simenon préférés se trouvent bon nombre de titres publiés chez Gallimard dans les années 30. C’était l’époque romantique du colonialisme, si je peux m’exprimer ainsi. Je m’explique : l’homme occidental en quête de dépaysement pouvait alors «acheter» l’aventure exotique. Pour autant qu’il avait les ressources financières utiles, il lui était permis de séjourner chez l’indigène sans avoir à s’inquiéter avec des questions d’ordre politique. Ou moral. Simenon, qui a beaucoup voyagé, a rencontré de ces êtres atypiques qui ont fui la civilisation pour aller «régner» dans des contrées soi-disant vierges, des hommes avides de redémarrer leur existence, d’améliorer de façon référentielle leur statut social ou d’assouvir, auprès de jeunes autochtones, des instincts refoulés.

Le destin de ces exilés volontaires est souvent tragique dans les œuvres de Simenon et l’auteur classe d’ailleurs ces personnages sous l’appellation «ratés de l’aventure». Les romans qui mettent en scène ce type de personnage ont donné, selon moi, ses œuvres les plus fortes. Certaines sont du calibre de L’ÉTRANGER de Camus. À la différence que Simenon ne savait certainement pas qu’il écrivait parfois des romans existentialistes. D’ailleurs, quand on écrit, il est préférable de ne pas penser à la nature de ce que l’on crée. Quand, par exemple, Camus conceptualisait sa démarche, il produisait alors des œuvres trop didactiques, comme c’est le cas pour LA PESTE.

Quant à Simenon, il nous invite à entrer dans l’existence brute. En moins de 250 pages, l’auteur réussit toujours à tracer le parcours de l’homme insatisfait (au sens philosophique du terme) ou coupable (au sens de la loi ou en regard de sa propre conscience), un homme dans lequel se distille le secret inavouable ou le fantasme réprimé. Questionné un jour au sujet de son programme narratif, Simenon fit parvenir à un universitaire un schéma résumant sa technique de construction. Quatre mots : crise – passé – drame – dénouement. Séquence d’une redoutable efficacité.

En effet, livre après livre, le lecteur se laisse prendre au jeu. Inconsciemment, celui-ci développe une sorte de plaisir pervers et se délecte de la crise, se repaît de la chute. Et tous les personnages sont égaux face à la chimère. Quelle que soit la classe sociale à laquelle ils appartiennent, l’attrait du mirage est trop fort, ils succombent tous, jusqu’à en perdre la raison. Ou la vie.

Et Simenon n’a jamais besoin d’expliquer le point de rupture : sa force réside précisément en sa capacité à faire sentir l’antinomie rongeante qui habite l’homme, et ce, avec les seuls mouvements de ce dernier. Bouger, c’est choisir. Sortir du cadre familial pour aller honorer une maîtresse. Quitter le pays pour rejoindre l’utopie. Le personnage qui s’échappe de l’enclos de son surmoi choisit de ne plus se résigner à l’image qu’il s’était faite de lui-même. Il prend LE risque. Pour le meilleur, mais généralement pour le pire.

Il n’y a rien de manichéen pourtant dans cette confrontation entre le conformisme et l’idéal. Même si le personnage s’est ruiné (dans tous les sens du mot) dans sa quête, il ne nous est pas présenté comme un être méprisable. Il a même acquis, d’une certaine manière, une noblesse en allant se brûler contre l’astre trompeur. Icare carbonisé est allé au bout de lui-même. C’est ce qui est important, à mon sens. Mieux vaut être un beau feu d’artifice plutôt qu’une interminable mèche mouillée!

Voici donc, sans plus de commentaires, les dix romans de Simenon qui ont le plus attisé, chez moi, le plaisir pervers dont je parlais plus haut :

10- Le coup de lune, 1933
09- Le locataire, 1934
08- Les complices, 1955
07- Les suicidés, 1934
06- Le blanc à lunettes, 1938
05- Le passager clandestin, 1952
04- Touriste de bananes, 1938
03- Les clients d’Avrenos, 1935
02- Quartier nègre, 1936
01- Ceux de la soif, 1938

Bonne lecture!


Michel