La chronique du Profanateur - Chronique 09


NDLR : Cette chronique du Profanateur a initialement été publiée dans le journal LE REVENANT, à l’automne 1996.

Les souvenirs du Profanateur:
NUDISME EN OCTOBRE

La semaine dernière (alors que je me demandais justement ce que je ferais de mon congé de mi-session), j’ai reçu une lettre de la fondation du collège où j’ai étudié il y a belle lurette. Dans l’enveloppe, il y avait un laissez-passer, envoyé gracieusement à tous les anciens élèves ainsi qu’aux anciens membres du personnel, le mot «membres» étant ici volontairement équivoque.

Ce billet donnait accès, le week-end suivant, à une activité expérimentale, une sorte de camping extrême nouveau genre. En fait, comme le précisait le président du conseil d’administration de notre Alma Mater chérie, il était question d’un projet mis en branle (ici, le terme n’est pas volontairement équivoque) par des finissants en Techniques de Tourisme et Loisirs, lequel projet faisait office de stage de fin de programme. Belle initiative! m’écriai-je en sautant dans ma voiture, en ce samedi automnal, fier de participer, à titre d’invité cobaye, au rayonnement académique de mon institution de jeunesse.

En fin de journée, je suis donc arrivé à la barrière de la base de plein air de l’Île Saint-Quentin. À ma grande stupéfaction, l’étudiant préposé au guichet d’accueil me demanda de me déshabiller!

- C’est une douane ou un camping, votre truc? me suis-je alors exclamé.

- Un centre de naturisme, monsieur, me répondit le jeune en prenant mon billet.

L’éducation collégiale d’aujourd’hui est vraiment avant-gardiste, pensai-je. Comme je ne voulais pas passer pour un vieux croûton, j’ai placé tous mes vêtements (nombreux en cette saison) dans la boîte que me tendait le préposé. Je n’ai conservé que mon sac à dos. Peu habitué à tant d’impudeur, je m’avançai, courbé, la [CENSURE] entre les jambes, vers le site qu’on m’avait assigné. Sous les rayons lunaires, je montai en toute hâte ma tente, complètement gelé, les [CENSURE] recroquevillés sous la prostate, maugréant contre ma naïveté de toujours.

Le lendemain matin, heureusement, le climat était un peu plus hospitalier. L’été des Indiens me permettait de croire que je survivrais à l’aventure. J’ai quitté mon tipi pour aller explorer ce camping, avec l’espoir de rencontrer des connaissances d’antan. Quel ne fut pas mon étonnement d’arriver nez à nez avec un de mes anciens professeurs de philo, aujourd’hui retraité, et qui, vu son âge très avancé, campait sous une tente à oxygène. Je profitai de l’occasion pour lui remettre un travail en retard de quelques décennies.

Puis, je m’avançai vers un petit ruisseau. Je reconnus là, se vautrant dans la boue froide, un poète dénommé J., ancien de la cohorte 1970, qui me criait :

- Ça n’a pas changé, le Collège : un vrai Woodstock éternel! Tu veux fumer un joint avec moé, man?

Un peu plus loin, je vis, assis à une table de pique-nique, des hommes et des femmes de loi (des anciens et des anciennes appartenant pour la plupart au Barreau de Trois-Rivières) qui s’adonnaient, comme d’habitude, au jeu. Dans ce contexte particulier, ils jouaient au «dress poker». Le juge T[CENSURE] semblait avoir une option sur la partie puisqu’il ne portait qu’un seul vêtement, sa fameuse toge de magistrat, ce qui lui donnait des allures de Père Noël du campeur.

Sans tarder, je poursuivis mon exploration, attiré par des chants. Je débouchai dans une clairière où, ô surprise, on célébrait une messe dominicale en plein air, comme c’est la coutume dans les campings du Québec. À la différence que, là, tous les fidèles étaient nus, nus comme des larves agglutinées sous une pierre sur laquelle on aurait pu bâtir une Église. Le célébrant, un ancien du Collège également, n’était nul autre que l’abbé Marc L[CENSURE]e. Lahaie lui servant d’autel préservait des regards sa vertu ecclésiastique. Aux premières loges, deux religieuses plus que centenaires (qui m’avaient naguère enseigné l’Histoire en ressassant leurs souvenirs de jeunesse) avaient gardé leur large cornette pour se protéger du soleil. Les momies, on le sait, supportent mal une telle exposition après un séjour prolongé dans leur cloître.

Plus tard, j’arrivai à la plage où, si l’on peut dire, se dressait le clou du spectacle. Nouveau choc! Photographié par des dizaines de groupies de l’époque de sa gloire au gymnase du Collège, un Adonis musclé prenait des poses de culturiste. Ce corps sculptural digne d’un modèle (rétro), c’était celui de mon ancien prof d’éducation physique, P.I.A. Vraiment, il me fit regretter ce jour-là de n’avoir jamais pris au sérieux ses enseignements. Quelle injustice, tout de même! Le bougre, malgré ses soixante-dix ans, n’avait pas un bourrelet. Pas une ride. Pas un pli, même pas sur la [CENSURE], endroit où le froid ratatine normalement les tissus.

En fin de journée, des étudiantes du programme de Tourisme et Loisirs vinrent à notre rencontre pour recueillir nos impressions sur l’activité. Elles n’avaient pas jugé utile de se déshabiller puisque, bien de leur génération, elles étaient naturellement dévêtues. Vraiment, pensai-je, les parents ont raison de s’inquiéter pour leurs jeunes!



Michel