La chronique du Profanateur - Chronique 07


NDLR : Cette chronique du Profanateur a initialement été publiée dans le journal LE REVENANT, à l’automne 1997.

Les souvenirs du Profanateur :
LA RÉVOLUTION EST TERMINÉE

Si je m’attendais à cela! J’étais réduit au chômage depuis quelques mois déjà, à prendre peu à peu la couleur des murs de mon ½ (lesquels étaient recouverts d’un papier peint aux motifs fleuris, ce qui me donnait l’aspect d’un caméléon multipolaire) quand la sonnerie de téléphone interrompit ma rêverie existentielle du moment portant sur la vente éventuelle de mes bouteilles vides. C’était la direction du collège où j’avais étudié qui m’appelait, non pas cette fois pour siéger au sein d’un comité d’anciens étudiants, mais bien pour m’offrir une charge d’enseignant suppléant!

Toute une surprise! Enfin, pensai-je, je pouvais donner un sens à ma maîtrise en «Guérilla urbaine» acquise avant la chute du Mur. Plus réjouissant encore : j’allais enseigner les sciences politiques dans mon Alma Mater chérie. «Bénie soit cette épidémie de burn-out qui décime les profs permanents!» m’écriai-je, puisque l’hécatombe me permettait enfin d’actualiser ma grande érudition d’universitaire désoeuvré.

En réunissant mes notes de cours jaunies, de nombreux souvenirs heureux assaillirent mon esprit nostalgique. Je me revoyais au salon étudiant, vêtu de mon coton ouaté bon marché et chaussé de mes Adidas à trois lignes. C’était dans les années ’70. Ma génération appartenait au monde de l’utopie pure et dure. À cette époque, mes camarades et moi préconisions la simplicité de l’image pour habiller notre âme de nobles abstractions. À la grande joie de nos professeurs anarchistes (retirés depuis dans leurs condos en Floride), nous prônions la guerre contre l’impérialisme néo-colonialiste; nous condamnions le grégarisme matérialiste et l’utilisation du shampoing. Nous séchions nos cours de religion pour consacrer notre énergie à la rédaction du journal étudiant LE GOULAG, organe officiel du PCCL (Parti communiste du Collège Laflèche). Or, la perspective de revenir en classe (en avant de la classe, en plus!) m’offrait la possibilité de poursuivre la révolution là où je l’avais laissée, cette fois avec de tout jeunes trotskistes en devenir.

Toutefois, quand j’entrai en classe au matin de mon premier cours (et ce fut le dernier), mon habit de camouflage des Forces insurrectionnelles castristes ne passa pas inaperçu. Il tranchait, comme on dit, avec les tenues hollywoodiennes de certaines de mes étudiantes, et mon béret étoilé détonnait parmi les casquettes des garçons, que plusieurs portaient à l’envers pour me donner l’impression qu’ils tournaient le dos à mon enseignement.

Mon premier contact avec la clientèle (c’était ainsi que dorénavant la direction du collège désignait les étudiants) ne fut d’ailleurs pas très fraternel. Il est vrai que j’ai obligé les étudiants à se lever et à entonner avec moi l’International. Un petit gros à l’arrière n’a pas manqué de me faire savoir qu’il préférait le Hip Hop. Puis la matière de la première heure n’a pas suscité beaucoup d’enthousiasme non plus. Et pourtant! Toute une période consacrée à l’art de préparer des cocktails Molotov : il me semblait qu’il y avait là un sujet brûlant d’actualité. Non, le seul moment où il y eut une véritablement explosion de joie, ce fut quand je leur annonçai que la deuxième heure se donnerait dehors. «Il faut sortir du collège» déclarai-je, «et manifester contre la hausse de vos frais de scolarité!» En fait, je leur avais demandé, comme devoir, de crever les pneus de l’auto du directeur du collège et de brûler en effigie (à défaut d’avoir en main l’original) le ministre de l’Éducation. Jouissance! Tous s’étaient levés en bloc et en trombe s’étaient dirigés vers la cour arrière. J’irais les rejoindre après un arrêt aux toilettes.

Quelques minutes plus tard, quand j’arrivai au lieu du rassemblement, ma déception fut grande. Tous s’étaient défilés, à l’exception d’une étudiante qui se faisait bronzer, couchée sur une table à pique-nique, et du petit gros qui suçait un popsicle aux bananes. «Bande de mollusques yankees, d’oligarques de droite, de bourgeois de salon!» vociférai-je, en dépit de leur absence.

Je sentis bientôt qu’on me tapotait l’épaule. C’était un collègue de travail, et mon ancien professeur : Alain Soulard. Que je ne reconnus pas sur le coup puisqu’il portait une cravate.
- Ah, Alain! Heureux de voir mon maître venir à la rescousse pour tenter de rallier le prolétariat étudiant sous l’auréole de la Cause! m’exclamai-je, tout ému.
- Écoute, cher confrère, répondit mon mentor, j’aimerais que tu baisses un peu le ton. Mes fenêtres de classe sont ouvertes et je ne suis pas capable de donner mon cours d’«Économie domestique»…
- Mais enfin, protestai-je, on ne va tout de même pas baisser la tête devant l’ennemi! Hasta la victoria siempre!
- Collègue, il faut que tu comprennes que les temps ont changé. La révolution est terminée, vois-tu. Viens dîner avec moi ce midi, je vais manger une coquille Saint-Jacques au Castel des Prés le jeudi. On pourra discuter un peu.

J’ai tenté de m’immoler par le feu, à l’exemple des bonzes tibétains, pour extérioriser mon désarroi. Hélas, le briquet que m’a prêté Soulard était muni d’un dispositif de sécurité et ce dernier a refusé de m’en expliquer le fonctionnement en prétextant que le Collège était devenu une institution sans fumée.



Michel