Certes, le plan est une étape incontournable. Toutefois, je ne préconise pas nécessairement ma façon un peu maniaque de l’étayer et de l’actualiser. Chaque romancier développe une manière bien à lui de s’en servir. Selon son idiosyncrasie. Ou selon le genre qu’il privilégie.
Il existe, à mon sens, des romans de type «atmosphérique», d’autres de type «expérimental» et, enfin, d’autres encore de type plus «structural». Les premiers pourraient être associés à la sculpture; les deuxièmes au modelage; et les derniers au montage.
Le sculpteur
Cette masse initiale (souvent inarticulée) constitue son matériau de base. C’est le morceau de bois à sculpter, avec sa forme sauvage, son grain, son essence. Une fois bien assis devant cette forme, il décide mentalement (ou en traçant des croquis) de la représentation qu’il veut obtenir, qu’elle soit figurative ou plus abstraite. Lorsque cette représentation se cristallise (il a alors son plan bien en tête), le sculpteur passe à l’action.
Il taille. Fait émerger l’œuvre de la gangue originelle. Il élimine les aspérités. Il polit l’ensemble. Puis applique un verni, s’il le juge nécessaire. Autant d’étapes, autant de réécritures. Pour obtenir, en fin de processus, la plus simple expression, la plus pure, celle qui évoque l’atmosphère ayant déclenché au départ le désir irrépressible de témoigner de quelque chose.
La démarche du sculpteur est beaucoup moins préméditée que celle du monteur de lignes. Il y a une part d’inconnu jusqu’à ce que le dernier coup de ciseau soit donné. C’est pourquoi elle donne naissance à des romans plus intimistes qualifiés parfois de proses poétiques ou introspectives.
Le modeleur

Contrairement au romancier-sculpteur qui retranche des pages pour préciser son univers, le romancier-modeleur, lui, en ajoute, par souci de précision, liberté rendu possible grâce à un plan initial plus approximatif. Il part d’une matière brute à laquelle il ajoute des mottes (nouvelles perspectives, personnages gagnant en importance, nouveaux éléments déclencheurs) qu’il fusionnera à l’ensemble à l’occasion de réécritures.
Cette démarche donne naissance à des romans plus expérimentaux, riches en mises en abyme, comme les autofictions.
Le monteur de lignes

Toutefois, le contexte lui réserve souvent des surprises, ce qu’il ne déteste pas, bien au contraire. Le romancier-monteur s’adaptera aux caprices de la logique narrative (un personnage, par exemple, qui décide de faire un détour…) qu’il considérera comme de grisants défis à relever. Donc, si le terrain devient plus accidenté, le monteur ajustera les treillis en fonction des déclivités imprévues. Il régira, de plus, un voltage plus élevé en adaptant ses transformateurs.
Malgré son souci d’adaptation, le monteur acheminera le courant du point A au point B, tel que convenu au départ. Pour lui, le fil conducteur demeure très important.
Cette démarche donne naissance à des romans à intrigue, comme les polars ou les récits historiques, par lesquels il décrira moins le «je» que l’inconscient collectif.
Sculpteur, modeleur ou monteur de lignes?
En tant que «romancier noir», je serais, selon mes analogies, un monteur de lignes. Et c’est dans ma nature, d’ailleurs, d’être très structuré. Bref, je crois bien que, dans mon for intérieur, je suis avant tout un auteur de polars…
Et vous, créateurs, qui êtes-vous?
Michel