Tout récemment, un de mes étudiants (Joël Boudreault pour ne pas le nommer) du programme Sciences Lettres & Arts du Collège Laflèche me faisait la remarque suivante, suite à sa lecture d’un de mes articles sur le blogue : «Je ne réussis pas à mener à termes mes projets de romans. J’ai vu que vous preniez un an pour faire votre plan. Je vais essayer ça».
Certes, le plan est une étape incontournable. Toutefois, je ne préconise pas nécessairement ma façon un peu maniaque de l’étayer et de l’actualiser. Chaque romancier développe une manière bien à lui de s’en servir. Selon son idiosyncrasie. Ou selon le genre qu’il privilégie.
Il existe, à mon sens, des romans de type «atmosphérique», d’autres de type «expérimental» et, enfin, d’autres encore de type plus «structural». Les premiers pourraient être associés à la sculpture; les deuxièmes au modelage; et les derniers au montage.
Le sculpteur
Le romancier-sculpteur a souvent l’esprit du poète. Il part d’une impression brute. Pour lui, l’intrigue est moins importante que les sentiments qu’elle draine ou qu’elle suscite. Sa démarche n’est pas économique, elle est foisonnante. Du moins, au départ. Le romancier-sculpteur écrit des centaines et des centaines de pages pour ne préserver, à la fin, qu’une portion de son premier jet.
Cette masse initiale (souvent inarticulée) constitue son matériau de base. C’est le morceau de bois à sculpter, avec sa forme sauvage, son grain, son essence. Une fois bien assis devant cette forme, il décide mentalement (ou en traçant des croquis) de la représentation qu’il veut obtenir, qu’elle soit figurative ou plus abstraite. Lorsque cette représentation se cristallise (il a alors son plan bien en tête), le sculpteur passe à l’action.
Il taille. Fait émerger l’œuvre de la gangue originelle. Il élimine les aspérités. Il polit l’ensemble. Puis applique un verni, s’il le juge nécessaire. Autant d’étapes, autant de réécritures. Pour obtenir, en fin de processus, la plus simple expression, la plus pure, celle qui évoque l’atmosphère ayant déclenché au départ le désir irrépressible de témoigner de quelque chose.
La démarche du sculpteur est beaucoup moins préméditée que celle du monteur de lignes. Il y a une part d’inconnu jusqu’à ce que le dernier coup de ciseau soit donné. C’est pourquoi elle donne naissance à des romans plus intimistes qualifiés parfois de proses poétiques ou introspectives.
Le modeleur
Le romancier-modeleur part d’un plan préliminaire qu’il étayera au cours du processus créatif. Le modelage réserve bon nombre de surprises. Le créateur s’inspire d’un modèle dont il changera l’attitude ou la physiologie selon la logique narrative qui s’imposera au moment même de l’écriture du premier jet.
Contrairement au romancier-sculpteur qui retranche des pages pour préciser son univers, le romancier-modeleur, lui, en ajoute, par souci de précision, liberté rendu possible grâce à un plan initial plus approximatif. Il part d’une matière brute à laquelle il ajoute des mottes (nouvelles perspectives, personnages gagnant en importance, nouveaux éléments déclencheurs) qu’il fusionnera à l’ensemble à l’occasion de réécritures.
Cette démarche donne naissance à des romans plus expérimentaux, riches en mises en abyme, comme les autofictions.
Le monteur de lignes
Le monteur de lignes n’aime pas l’improvisation ou l’approximation. Avant de construire son pylône, il dispose d’un plan très détaillé, sur lequel il a travaillé des mois durant. La qualité première du monteur de lignes est la préméditation. Au moment d’écrire le premier mot de son premier jet, il a une idée précise de sa structure (nombre de chapitres, nombre de sections) et du nombre de pages de sa version finale.
Toutefois, le contexte lui réserve souvent des surprises, ce qu’il ne déteste pas, bien au contraire. Le romancier-monteur s’adaptera aux caprices de la logique narrative (un personnage, par exemple, qui décide de faire un détour…) qu’il considérera comme de grisants défis à relever. Donc, si le terrain devient plus accidenté, le monteur ajustera les treillis en fonction des déclivités imprévues. Il régira, de plus, un voltage plus élevé en adaptant ses transformateurs.
Malgré son souci d’adaptation, le monteur acheminera le courant du point A au point B, tel que convenu au départ. Pour lui, le fil conducteur demeure très important.
Cette démarche donne naissance à des romans à intrigue, comme les polars ou les récits historiques, par lesquels il décrira moins le «je» que l’inconscient collectif.
Sculpteur, modeleur ou monteur de lignes?
En tant que «romancier noir», je serais, selon mes analogies, un monteur de lignes. Et c’est dans ma nature, d’ailleurs, d’être très structuré. Bref, je crois bien que, dans mon for intérieur, je suis avant tout un auteur de polars…
Et vous, créateurs, qui êtes-vous?
Michel