La semaine dernière, je suis allé souper au restaurant LE GRILL avec mon ami d'enfance M. Depuis le temps qu'on en parlait. Pas facile de planifier une sortie avec M. Le M. en question travaille sur des chiffres, comme on dit, dans une usine de pâtes et papiers de Trois-Rivières. Parfois, avant de quitter la réalité pour aller s'enfermer dans son enfer (50° C par temps caniculaire) pour sa séquence nocturne de six jours (de six nuits, pardon), M. me dit: «Michel, je vais aller te fabriquer du beau papier». Oui, M. et moi vivons tous deux par le papier.
Là s'arrête l'analogie. À partir du collégial, nous avons pris deux chemins bien différents. Il n'en demeure pas moins que nous n'avons jamais cessé de nous côtoyer: rarement une semaine sans nous voir, ou sans nous parler au téléphone. Au resto, nous soulignions justement que nous nous fréquentons depuis déjà 38 ans. Aussi bien dire, pour deux jeunes quarantenaires (remarquez ici le bel oxymore!), depuis toujours.
En fait, nous avons trois petites années de différence, tout à fait négligeables aujourd'hui. Sauf qu'au moment de notre première rencontre, à la fin des années '60, alors que M. était mon petit voisin (aujourd'hui, M. fait 6 pieds et 3 pouces et, s'il le voulait, il pourrait me crisser une volée avec un seul bras), cette différence d'âge l'avait marqué, assez d'ailleurs pour qu'il se souvienne -et c'est pas des blagues- de notre toute première discussion:
- Quel âge as-tu? lui avais-je demandé.
- 4 ans.
- Bah, y'a rien là, lui avais-je rétorqué, moi j'en ai sept!
M., en me relatant ce premier contact, ajoute toujours: «Il a fallu que tu me fasses chier, même au tout début!»
M. est la personne qui me connaît le plus. Il est aussi le seul a avoir absolument tout lu ce que j'ai écrit. Tout. De ma première bande dessinée, en passant par mes écrits estudiantins, jusqu'à mon plus récent roman publié. La semaine dernière, de passage à mon appart avant que nous nous rendions à pied au resto, il a lu le premier jet de ma première page de mon polar en chantier.
Il me connaît à fond, également, du point de vue relationnel et psychologique. Il a connu tous mes autres amis, perdus ou nouveaux, a rencontré toutes mes blondes, éphémères ou prépondérantes, québécoises, anglophones ou étrangères. Qui plus est, il a lu tous mes journaux intimes! Inutile de préciser, donc, que je ne peux pas lui en passer une, comme on dit. M. me connaît plus que je me connais moi-même!
Après le resto, nous sommes allés prendre une ultime consommation sur la terrasse du bar ZÉNOB. C'est là que je lui ai dit:
- Ah, j'aimerais me faire une maîtresse, juste pour passer le temps...
- Ben voyons don', tu sais que t'es pas capable d'avoir une maîtresse: tu tombes amoureux d'elle et à ce moment-là, c'est déjà plus une maîtresse...
J'ai fermé ma gueule. Puis, après une pause pour encaisser, j'ai ajouté: «Vraiment, M., tu es le plus redoutable avocat du diable que je peux avoir!» Ça l'a flatté, cette remarque, je crois bien. Il a abondé en ce sens: «Oui, je suis membre du Barreau du Diable et tu es mon seul client; c'est pour ça que je m'occupe autant de toi».
Michel