Les 3 écrivains au GP3R
Chez Thérèse Thibodeau Châteauneuf
Il y avait belle lurette que Pierre et moi n’avions pas été invités à un Grand Prix. En ce qui me concerne, la dernière fois remontait à l’automne 2006, alors que j’étais finaliste pour le Prix Clément-Morin. Cette fois-ci, ce n’est pas grâce à nos talents respectifs que nous nous sommes retrouvés près de la scène (ou sur la scène), mais bien parce que ma maman, Thérèse, nous a proposé des billets de faveur nous donnant accès à une estrade située tout juste en face de la ligne des départs du Grand Prix de Trois-Rivières 2007.
Thérèse, comme je l’ai déjà dit dans un précédent article, habite dans une résidence pour personnes du troisième âge. Et le bâtiment en question, Les Terrasses Dominicaines, se trouve coincé en plein centre du circuit de course (un des rares circuits urbains en Amérique du Nord) pendant les trois jours des compétitions. C’est pourquoi les organisateurs de l’événement offrent des billets de faveur à la cinquantaine de résidents, victimes ce week-end-là de la claustration (ils sont véritablement entourés de murs de fortune, comme dans les Territoires occupés, et il ne leur est plus possible de sortir ou d’entrer librement) et du bruit assourdissant des moteurs.
Bref, Pierre et moi avions accepté l’offre de ma maman d’assister dimanche dernier à quelques courses prévues cette journée-là. Pour ce faire, nous devions nous rendre très tôt le matin à l’entrée des fournisseurs, pour pénétrer dans les Territoires occupés avant la fermeture définitive des barrières. Or, pas de sortie abusive au bar LE TEMPLE la veille, car nous avions rendez-vous chez Thérèse, dès 7 heures, pour le petit-déjeuner.
Nous avons passé sans encombres et sans fouilles rectales le poste de contrôle, de sorte que nous étions attablés à l’appartement quand le signal de la première course fut donné. Repas gargantuesque, bien sûr, à l’instar de tous les festins de mères, soucieuses, on le sait, de toujours recevoir princièrement, comme au Château Montebello.
Le repas s’est déroulé normalement jusqu’au septième couvert. C’est à ce moment-là que ma maman a figé devant sa cuisinière en s’écriant :
- Bonté divine! Je n’ai plus de patates brunes pour accompagner votre rôtie de lard!
- C’est pas grave, môman, suis-je aussitôt intervenu pour éviter ce que j’appréhendais, on est déjà plein comme des ciboires avant la communion!
Rien à faire : tel l’ouragan Dean, Thérèse a saisi les clefs de sa Suzuki et a quitté précipitamment l’appart pour se rendre à l’épicerie. Alors que les véhicules de la course Mazda SCCA MX-5 Cup effectuaient leurs tours de réchauffement sur la piste! Et pas moyen de rattraper Thérèse dans le couloir pour la dissuader : nous étions lents comme des obèses morbides en phase terminale.
Dépassés et inquiets, il ne nous restait plus qu’à nous rendre au plus vite à notre estrade, à titre de spectateurs impuissants, et d’assister aux manœuvres de notre hôte. Pour sauver du temps, nous n’avons pas utilisé la passerelle piétonnière, préférant traverser sur la piste. Alors que le peloton de tête entamait le premier tour! Heureusement pour nous, deux gentilles brigadières scolaires ont ralenti le trafic afin que nous puissions nous rendre à bon port.
Cela a permis à ma mère, qui cherchait désespérément une sortie, de se loger parmi les dix premières Mazda.
Une fois assis dans l’estrade, nous avons assisté à tout un spectacle. Ma maman, au volant de sa Suzuki, a effectué une série de dépassements plus que téméraires, n’hésitant pas d’ailleurs à percuter ses frêles compétiteurs.
Mon voisin m’a demandé qui était la fantastique conductrice de la familiale. «C’est Thérèse» ai-je répondu, non sans fierté. Et la rumeur a circulé avec plus de célérité que la course elle-même. Après quelques tours, des dizaines de milliers de spectateurs étaient debout dans les estrades et scandaient en chœur «Thérèse! Thérèse!» Il est vrai qu’elle venait de prendre la première position, laquelle elle a conservée jusqu’à ce qu’elle remporte la course avec une minute 7 secondes d’avance sur la deuxième voiture.
Étant donné que Thérèse n’avait pas conduit un véhicule réglementaire, les officiels n’ont pas voulu lui offrir le trophée. Les autres lauréats de l’épreuve, par solidarité sportive, ont décidé de boycotter le podium.
Il est vrai qu’il leur aurait été difficile de s’y rendre tellement il pleuvait des bières dans cette direction, les spectateurs n’acceptant pas la décision dogmatique des organisateurs. Pour éviter l’émeute, ces derniers ont annoncé que ma mère pourrait participer à la course l’année prochaine. Ce qui nous a donné l’idée, à Pierre et moi, de commanditer son bolide.
Nous sommes retournés à la résidence y attendre notre hôte. Quelques minutes plus tard, Thérèse rentrait au bercail avec son sac de patates brunes. En s’excusant :
- À cause des courses, il y a un trafic épouvantable en ville. J’ai même été coupé par un jeune impoli qui m’a heurtée avec sa petite décapotable! Mais je ne l’ai pas laissé passer, l’effronté. Ça lui apprendra à ne pas respecter les aînés…
Louis-Philippe Dumoulin, mon émule
Retour sur le site. Avant de réintégrer notre estrade, nous profitons d’une pause pour explorer les lieux. Pierre prend des photos (voir son reportage exclusif), aussi survolté qu’un Japonais qui vient d’acquérir un nouvel appareil. Je décide, chemin faisant, d’aller saluer Marie-Hélène, une habituée du bar LE TEMPLE, qui a été choisie «Racing Poupoune» du Grand Prix. À son stand, la belle créature fait de la promotion pour une nouvelle gamme d’habits de plongée sous-marine. En reconnaissant son romancier préféré (oui, oui, c’est vrai : Marie-Hélène a dévoré LA BALADE DES TORDUS), elle m’enlace avec ferveur, si bien que j’ai l’impression, pendant quelques secondes, d’être au Salon du livre de Trois-Rivières. Et je constate malgré moi que son habit de plongée présente, à la hauteur du buste, une certaine carence au chapitre de l’étanchéité.
Puis, nous nous rendons à nos sièges réservés pour la course suivante. Nous remarquons, en passant, une rutilante voiture. C’est le véhicule d’Augusto Ferrari, organisateur bien connu de la FerrariAugusto, fête italienne trifluvienne (voir ma Chronique du Profanateur à ce sujet) qui attire annuellement des centaines de milliers d’amateurs de nouilles de la cité de Laviolette.
Assis juste à temps pour le départ de la Koni Challenge (Grand Am cup). Ma course préférée. D’abord parce que c’est la plus exigeante pour les coureurs. Mais surtout parce qu’un de mes anciens étudiants du Collège Laflèche, où j’enseigne la littérature, y prend part. Il s’agit de Louis-Philippe Dumoulin.
En effet, comme je l’expliquais à son père Richard (lequel, soit dit en passant, a réparé hebdomadairement ma Pontiac Fiero dans les années ’80) lors du Grand Prix de Trois-Rivières 2003, Louis-Philippe a atteint des sommets dans son art grâce à mes enseignements, en littérature existentialiste notamment.
La détermination légendaire du jeune pilote est inspirée –celui-ci me l’a confié à quelques reprises au bar LE TEMPLE, après quelques verres, vous l’aurez compris- par l’engagement de son modèle : Jean-Paul Sartre. Côté sentimental, il est intéressant de constater que L-P (pour les intimes) cherche, dans ses conquêtes féminines, l’image d’une Simone de Beauvoir.
Quant à sa conduite exceptionnelle, elle lui vient de sa rigueur acquise pendant mes cours sur la rhétorique de la dissertation explicative. Je reconnais dans sa trajectoire fluide de pilote le même fil conducteur qui orientait, dans ses textes d’étudiant, ses arguments vifs et puissants.
Bon, puisque j’ai dérapé du côté de la littérature, cela me fait penser que je dois préparer mes notes de cours pour le Collège. Eh oui, j’ai recommencé à travailler lundi, après mes deux trop brefs mois de vacances…
Michel
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