La Chronique du Profanateur - Chronique 20

NDLR : Cette chronique du Profanateur est un texte inédit.

MÉTAPHYSIQUE DE L’IVROGNE

Il y avait un bout de temps qu’on s’en promettait une. Une totale : resto et sortie au Temple, en célibataires (en ce qui me concerne, il aurait été difficile pour moi de sortir autrement qu’en célibataire). Pour se donner bonne conscience, ou pour se contenir avant même d’avoir amorcé le débordement, P. avait dit à sa blonde que ce serait «une petite soirée». Affirmation naïve qui avait laissé sceptique la blonde, bien entendu, parce que celle-ci nous connaît bien. D’ailleurs, elle avait raison de douter de cette soi-disant modération pieuse puisque, je le confirme, ce fut une méchante soirée! Je me suis réveillé assez tôt ce matin, non pas parce que je le souhaitais, mais parce qu’il y avait longtemps que je n’avais pas eu une migraine comme ça.Quand je suis atteint d’un tel mal de bloc -et c’est rare, je redeviens croyant. On ne peut pas parler d’une réelle conversion. Comme je cherche à être exaucé en ces circonstances douloureuses, je n’ai pas d’autre choix de me tourner du côté de la seule divinité qu’on m’ait fait connaître à l’époque de mon enfance. Quand j’ai mal à la tête, je redeviens ce petit écolier fragile qui prie Dieu le Père. Or, lorsque je me suis extirpé de mon lit tel un Lazare à la gueule de bois, je me suis donc adressé à Lui en ces termes : «Mon Dieu, guérissez-moi et je vous promets de ne plus jamais prendre de brosse». Évidemment, Il ne m’a pas cru. Et au moment d’écrire ces quelques lignes, j’ai encore l’impression que la cervelle veut me sortir par les oreilles. C’est que je Lui ai déjà fait le coup par le passé. La dernière fois qu’Il m’a exaucé en vaporisant ma douleur crânienne dans le cosmos suite à ma promesse de ne plus recommencer, eh bien, quelques minutes après ma guérison, je Lui ai envoyé ceci : «Ah! Ça va mieux! Va chier, Vieux Barbu!» Je ne voulais tout de même pas, à titre d’athée, qu’Il s’imagine que je crois vraiment en Lui. On comprend aujourd’hui pourquoi Il tarde à me faire profiter de sa Bonté divine.Tout ce détour métaphysique pour vous dire que la méchante soirée a débuté au resto Le Grill où P. et moi avons noyé nos délices de la mer avec deux bouteilles de vin, ce qui, à l’époque où nous avions un meilleur entraînement, était pour nous très raisonnable. Il semblerait que notre légendaire capacité d’absorption ne soit plus aussi fondée qu’avant puisque nous étions pas mal pompettes quand nous nous sommes rendus à l’étape suivante, et pas la moindre, c’est-à-dire ce lieu de perdition qu’on appelle LE TEMPLE. Comme il faisait beau, la terrasse dite Des étoiles, au sommet de l’édifice, avait été ouverte pour nous accueillir. Le Vieux Barbu, du haut de son Ciel, a pu compter tous ces drinks que nous nous sommes envoyé sous la cravate. C’est l’inconvénient de boire à découvert. Je ne pouvais pas Lui mentir, ce matin, en Lui disant quelque chose du genre : «Je ne comprends pas pourquoi, bon Dieu, j’ai autant mal à la tête, j’ai pris seulement un verre ou deux». Ou : «Il y a sûrement quelqu’un qui a mis quelque chose dans mon verre». Pourtant, aux petites heures du matin, nous nous sommes rendus à la pizzeria y engloutir une poutine, question de donner un peu de consistance à tout ce liquide absorbé, conformément aux mesures à prendre pour s’éviter, justement, d’être malade.Mais à bien y penser, ce qui m’a donné si mal à la tête, je crois, c’est la discussion que P. et moi avons eue à mon appart après la poutine, laquelle discussion a duré jusqu’à quatre heures et demie. Les effets de l’alcool atténuent l’intelligence et rendent imbéciles, même des génies tels que nous. Imaginez : pendant des heures, P. et moi, sommes devenus des conspirationnistes. Nous avons échafaudé l’hypothèse très sérieuse selon laquelle des extraterrestres mal intentionnés auraient pris le contrôle de Facebook afin de contrôler l’humanité! Pour vous dire à quel point nous étions ivres. Évidemment, quand on malmène ainsi la raison, il ne faut pas se surprendre d’avoir des séquelles ou, à tout le moins, un affreux mal de bloc.Je vais conclure en m’adressant, via ce blogue, à la Vierge Marie : «Sainte Mère de Dieu, ne pourriez-vous pas, vous, me donner une dernière chance…»Michel