Les chroniques atmosphériques des 3 - Chronique 8


La peur de l’inconnue

J’avais déjà vécu une situation analogue. À la différence que, la première fois que cela m’était arrivé, je ne savais pas alors que je faisais l’objet d’une «blind date». Cette fois-ci, j’étais volontaire (cobaye volontaire, quoi!) et il ne s’agissait pas à proprement parler d’une «blind date» puisque j’avais déjà entraperçu la fille à son travail et que, de son côté, elle avait, à tout le moins, une petite idée de mon apparence grâce aux nombreuses photos de mon minois mises en ligne sur internet.

La fille en question était venue sur le sujet (notamment son incroyable célibat) durant la période des Fêtes, lors de deux rencontres distinctes chez des îlots d’amis (c’est comme ça que j’appelle mes différents cercles de connaissances) n’appartenant pas au même archipel. Je me suis dit d’abord que la Mauricie était un village et, ensuite, qu’il serait intéressant de rencontrer la villageoise si prisée.

Prisée, oui. Primo, il s’agit d’une professionnelle spécialisée (je ne dévoilerai pas sa profession afin de sauvegarder son anonymat) dont la réputation dans son milieu n’est plus à faire. Secundo, disons qu’elle est (et je ne suis pas du tout emphatique, croyez-moi) une reine de beauté. Plusieurs ont dit qu’elle aurait pu mener une carrière de mannequin de calibre international. Et après l’avoir revue (ou l’avoir vue pour la peine), je dois dire qu’à mon sens elle est beaucoup plus belle que Carla Bruni, pour vous donner un ordre de grandeur référentiel. Le hic, justement, c’est que je ne suis pas président de la République française. Pas même président d’un conseil d’administration. En fait, je n’ai jamais été président de quoi que ce soit. Pas même président de ma classe à l’école élémentaire…

Avec mon lyrisme, je crois que je viens de vendre la mèche avant d’avoir amorcé le récit de cette soirée incongrue. Eh bien, non (crachons tout de suite le morceau, alors), la soirée en question n’aura pas permis de lier des atomes crochus.

Mais revenons aux circonstances. C’est Fred –le coquin!- qui fut le maître d’œuvre de cette rencontre expérimentale puisqu’il connaît les deux partis, en l’occurrence la fille et moi-même. D’ailleurs, le souper de vendredi passé (faisant office d’occasion) devait initialement avoir lieu en territoire neutre, si l’on peut dire, c'est-à-dire chez lui. Toutefois, vers une heure, j’ai reçu un appel téléphonique de l’ami Fred : une panne d’électricité dans son secteur paralysait le territoire neutre! De sorte que j’ai décidé de me retourner sur un dix cents (mon aide ménagère est partie en Floride pour un mois, alors inutile de préciser que j’avais pas mal de déblayage à effectuer dans mon antre) et d’organiser, donc, le souper à mon appart de la rue des Ursulines. Déjà que j’étais assez énervé.

Mes expériences successives avec le public, à titre de coordonnateur de programmes d’immersion, à titre de journaliste, à titre de professeur et, plus récemment, à titre d’écrivain et de conférencier –mes expériences, dis-je, m’ont fait vivre le stress sous toutes ses formes. Je vous dirais que celui que j’ai vécu quelques heures avant la rencontre –et pendant la rencontre- était beaucoup plus intense que ce que j’ai eu à gérer précédemment. La peur de l’inconnu, sûrement. Ou plutôt de l’inconnue.

Tu veux faire une bonne première impression, bien entendu, tout en restant naturel, sans être trop naturel non plus! Vous voyez ce que je veux dire? Par moments, je me sentais comme le petit gars gêné qui veut inviter la plus belle fille du collège à son bal des finissants! Pas cool comme sensation.

Heureusement, la fille -c’était convenu- était accompagnée de son amie à elle (que Fred connaît très bien aussi et avec qui j’avais jasé lors du dernier lancement d’un livre de mon comparse), de telle manière que la réunion pouvait paraître moins « organisée ». Après le souper, le mari de l’accompagnatrice de la fille s’est joint au groupe et a permis de détendre l’atmosphère.

De mon côté, il y avait Fred qui, au bout de la table, ressemblait à un animateur. Il aiguillait souvent la conversation pour que je puisse raconter des anecdotes me concernant. Parfois, j’avais l’impression d’être au Salon du livre de Montréal, lors de la table ronde des auteurs de La veuve noire éditrice, laquelle avait été animée par Frédérick, justement. «Michel, raconte-nous donc la fois où…» Sacré Fred! Bon boulot, néanmoins.

Au fil de l’interview, mon animateur et moi avons bien arrosé nos brochettes de filet mignon. Plus que les autres convives, ça c’est certain, car les filles se sont limitées à une seule coupe.

D’ailleurs, suite au verdict de non-recevoir de la fille, je me suis demandé si ma levée du coude n’avait pas contribué à me faire perdre quelques points. De même que mon statut de fumeur (quel statut!) aurait aussi nui à mon image. Quoi qu’il en soit, il est clair que nos univers respectifs ne sont pas apparus compatibles. Peut-être vis-je trop dans l’imaginaire. Univers, imaginaire… À m’entendre dire ça, j’ai l’impression que je me cherche des abstractions explicatives pour ménager mon ego.

Parce que, dans mon for intérieur, je n’ai pas l’impression d’avoir été à la hauteur. D’avoir réussi, dans les circonstances (aussi fabriquées furent-elles), à m’élever au niveau de la belle. Tout cela est une question de perception. Au sortir d’une telle expérience, je demeure mon seul juge. Même si ce regard que je pose sur moi-même passe par le truchement de l’Autre. Tiens, tiens : l’appréciation de soi-même par le miroir de l’autre, cela me rappelle ma lecture de L’ÊTRE ET LE NÉANT de Sartre. J’aurai tout de même eu l’occasion d’expérimenter une de ses notions charnières… Même si je ne suis pas du tout convaincu de vouloir répéter l’exercice!

Ce midi, je suis allé dîner chez ma mère. Son regard porté sur moi a rechargé ma batterie.


Michel