La chronique du Profanateur -Chronique 01


Étant donné que, depuis l'ouverture de ce blogue, le champ lexical religieux est fortement labouré, j'ai cru opportun de mettre en ligne une de mes vieilles chroniques, du temps que j'étais étudiant à l'université. C'est d'ailleurs un des aspects intéressants du blogue: donner une deuxième vie à des textes retrouvés dans les fonds de tiroirs. Mes tiroirs sont remplis de propos irrévérencieux ou provocateurs. J'entends donc publier une Chronique du Profanateur à chaque quinzaine.

INTERVIEW AVEC JÉSUS CHRIST

«Je n'ai jamais été crucifié»

[début de l'interview]

PROFANATEUR : Bonjour, monsieur Jésus, je suis très honoré de votre présence chez nous. Ce n'est pas à tous les jours que l'on rencontre un grand Christ, vous savez.

[poignée de mains]

J.-C.: Au nom du Saint-Siège, vous pouvez vous rasseoir, mon fils.

P.: Merci. Eh bien, commençons l'interview avec une première question.

J.-C.: Je vous en prie.

P.: Voilà. J'ai remarqué, en vous serrant la pince, qu'il n'y a pas de marques de clou dans le creux de vos mains. Vous n'avez tout de même pas été fixé à la croix avec du velcro?

J.-C.: Monsieur le Profanateur, cela vous surprendra peut-être, mais, en vérité, je vous le dis, je n'ai jamais été crucifié...

P.: Quoi! Ai-je bien entendu? Vous n'avez jamais connu le bois du supplice?

J.-C.: Le bois du supplice, si, mais pas la croix.

P.: Je dois admettre, monsieur Jésus, que je ne vous suis plus.

J.-C.: J'ai été, non pas crucifié, mais plutôt empalé. Empalé sous les ordres de Ponce Pilate, selon les procédures en vigueur à cette époque, c'est-à-dire la méthode mésopotamienne.

P.: Vous voulez dire qu'ils vous ont enfoncé un piquet dans le...

J.-C.: Oui, oui, mon fils, n'ayons pas peur des maux: les soldats m'ont en effet assis sur un grand pieu. Et quand je dis pieu, ce n'est pas dans le sens de fidèle, cette fois.

P.: Cette profonde révélation va sûrement changer beaucoup de choses dans notre vision des Saintes Écritures, non?

J.-C.: Oui, bien sûr, il faut tout replacer dans ce nouveau contexte. Par exemple, essayez d'imaginer la face de Thomas l'incrédule quand il a demandé à toucher à ma plaie...

P.: Le pauvre disciple a dû en effet se sentir comme un douanier d'aéroport, préposé aux fouilles anti-drogues... Mais j'y pense: qu'adviendra-t-il maintenant du fameux signe de la croix?

J.-C.: Ce rituel est tout à fait inadéquat, vous en conviendrez.

P.: Avez-vous une solution de rechange à offrir à vos fidèles, monsieur Jésus?

J.-C.: Oui, je leur proposerais une sorte de signe du doigt (le majeur, peut-être) rappelant justement le geste scatologique de Thomas à mon endroit.

P.: Hum, ce sera très élégant dans nos églises. Et y a-t-il d'autres réformes que vous voudriez suggérer à nos évêques?

J.-C.: L'Eucharistie. Il faut absolument modifier la Communion.

P.: Et que voulez-vous changer dans la Communion, cher Christ?

J.-C.: L'Hostie n'est plus représentative du don de mon corps après les précisions que je viens de donner.

P.: Que suggéreriez-vous pour remplacer l'Hostie?

J.-C.: Le pogo, à mon point de vue, serait la nourriture illustrant le mieux mon supplice.

P.: Très judicieux, mon grand Christ! Et avec le pogo, les jeunes seraient sûrement plus nombreux à assister à nos messes. Une dernière question, si vous permettez...

J.-C.: Pas de problème. J'ai beaucoup de temps devant moi, vous savez: l'éternité je dirais, ha! ha! ha! ha! ha!

P.: Ha! ha! ha! ha! ha! Elle est bien bonne, mon cricri. Oups! Excusez mes familiarités, mais que voulez-vous, vous êtes tellement un bon diable. ...bon, ma question: la rumeur voulant que votre père, le charpentier Joseph Christ, ait lui-même conçu le bois qui -on le sait- vous a si cruellement nettoyé les tripes, est-elle vraiment fondée?

J.-C.: Tout à fait. Je profite d'ailleurs de cette entrevue exclusive pour cogner sur le clou, si vous me permettez l'expression. Oui, en vérité je vous le dis, mon père m'a toujours détesté. Et le jour de ma condamnation, il a été le premier à offrir la pale à mes bourreaux.

P.: Mais pourquoi votre père vous haïssait-il autant que ça?

J.-C.: Mon père m'a toujours considéré comme un encombrant bâtard. J'étais la preuve vivante qu'il était le plus grand cocu de l'histoire de l'Humanité. Il est vrai qu'il n'est pas édifiant d'être cocufié par le Saint-Esprit lui-même... Que Dieu, mon Grand-père Tout-Puissant, me pardonne cette confession...

[À ces mots, un éclair céleste traverse la fenêtre de la pièce et vient réduire l'Invité en cendres. Fin de l'interview]



MICHEL